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« Le Cri » sur France 2, lundi 27 février
Cha va braire à vos maisons…
Il s'agit d'un article sur Le Cri, téléfilm d'Hervé Baslé auquel j'ai participé. Il m'a semblé indispensable d'y mettre ma plume de faisan, d'abord parce que le film m'a bouleversé, ensuite parce qu'on imagine pas le boulot pour faire accepter une création qui n'est pas dans le standard fiction et la censure politique qui entoure l'image de l'entreprise en Europe. Je veux bien plancher là dessus une autre fois, tant il y a à dire.
A tous ches gins du Nord et du Pas de Calais. Il fallait qu'on se parle, depuis longtemps. Que je vous dise combien que j'vous aime et comme tous les gens d'ichi comptent dans ma vie d'acteur. Et me v'là tout bizarre, un peu flappi, moitié par terre. Oh, je ne vous écris pas pour vous raconter ma santé, si ma grippe elle empire ou comment qu'ma tête elle fait mal. Non, ce serait pour vous dire ma joie ma peine, comme il dit Johnny, et commint qu'elle est la musique que j'aimeuh…
Imaginez-vous que je sors d'un film où je vous ai retrouvé tertous, un film où vous étiez, avec misotte ed'dins ! Un téléfilm où nous étions tous, gens du Nord. Et ce film, Le Cri, une mémoire ouvrière en image, je dois dire que je m'suis fait pleurer tellemint que c'est poignant. Je sais c'est pas modeste de dire des choses pareilles, mais si j'étais tellement bien, si fort dans le rôle de Jules c'est qu'un peu, j'ai essayé de porter tous les gens que j'aimais ici et qui parfois, après les spectacles de Cafougnette en fanfare, me disaient qu'il ne faut pas oublier les grands hommes, ceux qui bossent dur dins ches usines au Nord, terre de travail… Et que, même quand tout change et modernise, il faut de la mémoire et pas de la nostalgie pour que ces esprits involés veillent incore sur nos vies. Et des visages à ces vies d'ouvriers, sans doute pour qu'on ne se contente pas de les voir comme une classe, comme une masse sociale indistincte. Il en faut des films et des histoires. Alors voilà, j'ai mis de la belle musique (mais pas Johnny pour le coup) et je me suis effondré par terre pour vous parler du Cri. Dans l'inspiration même qui m'a inspiré ce beau texte inspiré :
Vivre dans des décors fabuleux, changer d'époque au pied levé, être subitement marié ou père de huit filles en un jour, traverser le temps entouré d'une cour d'assistants et de coiffeurs pressés, mourir tragiquement trois fois avant d'aller boire un petit jus en régie, rien ne parait extraordinaire dans la vie d'acteur lorsque la chance nous pousse d'un souffle moqueur et propice vers les rivages enchantés de la célébrité, version télé ou version ciné. Nous fabriquons des fictions, nous y habitons quelques jours à peine et c'est envolé. C'est avec décontraction qu'il convient d'aborder un nouveau rôle, un rien d'assurance lasse destinée aux équipes techniques ainsi qu' à sa propre image, aux articles de presse qui se préparent… Mais quelquefois la surprise nous attend au détour d'un film. Le Cri : nous revoilà en culottes courtes, émus comme une première fois. Ca tient peut être aux lieux chargés d'histoire, ça vient du projet, de l'homme qui s'est battu pour le faire exister, ou d'une lointaine sensation de gravité et d'écoute. Le Cri, d'un mot c'est tout cela.
Réunis par un titre coup de poing, des acteurs donnent visage d'un monde : les ouvriers métallurgistes. Avec Hervé Baslé auteur-réalisateur du Cri, série de quatre films pour la télévision : on peut parler d'une troupe. Et cette fois là, pas question de jouer l'acteur ou d'être les vieux roublards, chacun se sent plein d'une responsabilité étrange. Parce que l'on donne la parole à des gens qu'on a fait taire ou trop souvent trahi. Le Cri, curieusement, c'est aussi le silence de ces vies simples, ce sont les mots qui ne viennent pas parce que dans le monde du travail, on ne raconte pas d'histoires ! Nous étions impressionnés, oui ! Et la raison première porte un nom bien connu dans min coin : solidarité. Il n'était d'abord pas question de jouer chacun pour soi ! Une troupe d'acteurs et de figurants. Impressionnés solidaires de cette mémoire oubliée des fictions modernes : le monde ouvrier… Lui-même solidaire avant d'être concurrentiel ou compétitif.
Ce film nous l'avons porté ensemble, cette impressionnante troupe, Marina Golovine, Francis Renaud, Catherine Jacob, Dominique Blanc, Rufus, Yann Collette, François Morel, André Marcon, Jean Baptiste Maunier est traversée d'une gravité qui la dépasse. D'abord nous étions frappés par les lieux, le courage de ceux qui y vécurent, l'engagement energique et paisible de l'auteur, Hervé Baslé. Ensuite nous avions des ailes : nous aimons les fictions, faire rire ou pleurer, mais au fond nous n'aimons pas raconter des conneries ! Debouts dans les rues ouvrières, penchés sur les machines dans les décors grandioses et réels des vieilles usines de Claabeek, autour des derniers hauts fourneaux là-haut vers le nord, tous les acteurs de cette histoire ont secrètement perçu qu'ils vivaient ici quelque chose de moins ordinaire qu'une banale super production façon casse du siècle, méga polar ou dîner de gala chez la baronne De Glamour, héroïne à succès d'une grande série classique. Notre légende moderne s'appelle réalité, il n'y a rien à faire, ça comprend la société toute entière. Nous tournions adhésion naturelle avec ces vies d'hommes et de femmes, solidarité avec cette mémoire, avec ses luttes et ses victoires d'un autre temps. Solidaires aussi de tous ceux qui nous entouraient sur le plateau, des vrais, ceux qui ont connu l'usine. Hervé Baslé n'a pas filmé pour en jeter plein la vue, étalage de moyens ou profusion de stars, mais pour entrer dans ces yeux-là. Il a choisi l'intensité, et c'est avec les mots de ceux qu'il filme, qu'il écrit son histoire. Sa sensibilité est à la hauteur de la tâche, pas de lyrisme déplacé mais une belle droiture d'homme, comme sont droites les rues des cités ouvrières, droite et réglée la vie qui s'enchaîne et la fierté du travail et droits les corps debouts des ouvriers en marche, droite et franche aussi la musique sous la baguette du chef…
Misotte qui ne suis pas de Lorraine comme dans le film, mais cette histoire est de partout. Misotte ! comme dirait l'Zeph Cafougnette un rien bénache : Je me suis senti solidaire de mi-même !
En jouant ce rôle, je me suis laissé envahir par le souvenir de tous ceux qui m'avaient parlé juste, en évoquant l'usine. J'avais quelque chose à dire, et ça sortait des tripes en vérité, à tous ceux qui avaient aimé Cafougnette et la Fanfare. J'ai su qu'avec Hervé Baslé et ce cri formidable, on allait parler au coeur de beaucoup de gens de min coin avec, "énormément de retenue et d'émotion". Mais je ne suis qu'un rigolo d'emprunteur ; la vie des autres je m'en habille quelques jours ; il m'est facile aussi d'effacer les marques. J'ai tout à coup pleuré comme une madeleine en voyant le film, j'ai cru que ça n'allait pas, qu'il faudrait que je consulte, et pourquoi le cacher, je me suis trouvé convaincant. Mais cha ch'est pas mi, j'vous l'jure ch'est nous tous, ch'est vous aut's que j'ai dans les bras, vous verrez, quand je tire la vieille carette pour les interrements. Mais chut ! Faut pas que j'vais vous raconter l'histoire quand même… Regardez l'film. Acoutez L' Cri, vous m'en direz des nouvelles.
Commentaires
Effectivement Monsieur
01/03/2006 14:53 — AliénorEffectivement Monsieur Bonnaffé, vous êtes convaincant ! Et bien plus que cela encore... vous n'êtes pas le seul a avoir versé des larmes en vous voyant à l'écran. Ce premier volet, vous le portez à vous seul, tant votre interprétation est forte. Et tant pis si votre modestie en prend un coup, vous méritez amplement les louanges des critiques !
Je n'ai pas été surprise de voir votre nom dans la distribution de ce téléfilm, dont le thème ne pouvait que vous avoir touché. Comme vous le dites, les gens du Nord se sentent solidaires de cette histoire, tant les similitudes avec notre histoire minière sont grandes.
Aucune différence entre métallos et mineurs... même destin et mêmes valeurs.
Merci Monsieur Bonnaffé d'avoir ajouté votre nom- et du même coup notre Région - à cette saga. Merci pour les choix qui ont été les vôtres depuis le début de votre carrière, à la scène comme à l'écran.