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Démon des nombrils

Chère Mademoiselle nous sommes d'accord et c'est bien ce qui m'ennuie. Les gens d'ici sont accueillants, oui, ils ont du cœur. Avec du soleil ed'dins oui, oui, mais on le savait déjà. Vous me proposez votre mise en mots calibrée pour notre entretien sur le Nord-Pas de Calais ( et encore un cahier spécial Ch'ti pour un hebdo). Alors quoi de neuf ? Le nord n'est plus ce qu'il était. Tant mieux ! C'est normal quand la planète perd la boule. Les gens ne tiennent plus en place, l'accent se perd, c'est un changement durable. On habite son présent. En tous points la culture crée de la valeur et l'on refuse d'en limiter le domaine au patrimoine et aux vestiges. On était éclairés par les mines de Lens, on en vient à s'éclairer soi-même. Quelque chose bouge qui n'est pas une conséquence du houblon et de sa consommation "raffinée", comme on l'a dit de la betterave à sucre.

Alors quand vous me faites dire, mademoiselle, que sur un plan culturel, on n'a que l'embarras du choix pour se distraire, je coupe sec, il ne reste que l'embarras. Pour me distraire j'ai recours à d'autres techniques. Je ne souhaite pas me soumettre à cette loi générale qui veut qu'on soit content partout. Et quant au "choix" je réserve cette consolation pour le rayon des produits frais, crèmes et fromages minceur. "Pour le reste il y a aussi les entractes", disait André Malraux, et l'on voit pas mal de monde y souscrire désormais. Comprenez ? Ah oui, je n'écris pas comme en article, vous allez devoir retoucher pour le lecteur. Non, ne touchez à rien, vous allez me faire dire des conneries. Comme d'exprimer mon adhésion fervente à la création d'entreprises "innovantes". Votre jargon mademoiselle, auquel sincèrement je ne touche que pour faire rire mes camarades.

Sur le même ton profilé, vous souhaitiez me voir vanter les hauts-lieux et mi je vous dis qu'à c't'heure ça se passe autant à Lille 3000 que j'adore, à Dunkerque, Arras ou Calais qu'à Loos en Gohelle 2012. Car s'il y a bien quelqu'un de cœur et d'action à l'écart des proclamations traditionalistes, c'est le maire de Loos en Gohelle, Jean-François Caron. Il peut rentrer fier à s'maison ou monter tout in haut de s'terril accrocher le trophée Lumières que je lui ai vu remettre au grand banquet de St Nicolas, reconnaissance de son action pour classement de la Région au patrimoine de L'Unesco. Reconnaissance aussi sans doute pour sa capacité à regarder le présent par le viseur de l'avenir, osant avec succès la démocratie participative.

Mais j'oubliais... L'image, bien sûr. Le sujet porteur… L'image du Nord, couperet fatal : ce qu'on va penser de nous ! Laissez-les dire mademoiselle, non seulement je m'en fiche, mais j'enfonce. On est pire encore ! Il n'y a pas une image mais "des" images du Nord-Pas de Calais. Et si les unes sont flatteuses, parfois survitaminées, il a fallu maintenir l'équilibre en y opposant quelques mauvais clichés, la franchise braillarde, nous plaçant à égalité du crétin des Alpes. Les gens valent mieux que leur apparence, et s'en dégagent peu à peu.

Quelle histoire que toute cette gloire, qui nous vaut désormais la réputation d'être connu. Paraîtrait que ça produit de la richesse. Des caresses, aussi ?

Sans vous mademoiselle, je n'aurais pas eu l'idée de parler de nos défauts puisque je n'en vois pas, l'humour à part. Rien que des qualités, et la modestie de surcroît ! Pourtant, et vous me le faites bien dire, tout n'est pas rose… Oui, cherchons bien. On a nos démons nous aussi, il n'y pas que le midi ! D'abord ce démon du nombril. Cette façon de n'aimer que soi chez soi, cette émotivité qui fait dire qu'on est bien comme on est et surtout que rien ne bouge : A l'baraque ! Notre fonctionnement casanier comique, le "caco" est un peu ce que le cacou serait à Marseille et le bobo tout partout, nous épargnant de justesse le "casanier catastrophiste" avec son abréviation malvenue. Et tout ça, c'est comme el'cafetière sur l'fu ou comme el goutte ed'jus : déjà passé !

Le plus beau spectacle que j'ai vu sur les mineurs a été écrit et répété à Thionville. Il parle des vies d'immigrés et nous chavire, quand l'information nous berce d'ennui. Il est d'un coup stupéfiant de voir ces formes d'expression dépasser toute entreprise innovante. Je comprend mieux le théâtre, merci Jean Paul Wenzel, auteur essentiel. "Tout un homme" est un théâtre récit prenant pour fiction le témoignages des vies d'exilés, gestes épurés travail aux sources du jeu qui vous laisse en larmes. C'est donc cela la communication. J'avais oublié. Aux dernières nouvelles, le spectacle ne viendra pas chez nous... Parce qu'au Nord on ne parle pas de l'Est ? Amis Dubuc du centre minier de Lewarde, Caron de Loos, Chantal Lamarche de Cultures Communes, Langlois de l'Hippodrome et autres directeurs des théâtres, toutes les histoires d'ouvriers, et la mémoire du travail nous concerne. Et nous avons quitté l'emphase des cérémonies officielles, avec ses mascarades de discours pour mieux partager ces manières d'hommages par le théatre et les arts.

Signe des temps, un illusionniste du pouvoir socialiste vient de chuter dans la sciure des procès, déballant ses comptes obscurs et cartes de crédits à discrétion. On n'a pas envie d'aller le plaindre. Le défaut de la culture à terme c'est d'instruire. Et parfois des masses... Ce métier politique des moulineurs de promesses, élevé sur l'autel de la mémoire ouvrière va se perdre, ou alors ses avocats devenir des génies.

Commentaires

Très beau texte. Bien sûr, c'est trop beau pour ouvrir un vrai large débat dans les colonnes de notre consensuelle Voix du Nord, qui a perdu la boussole depuis longtemps. On peut pas, toujours, être d'accord sur tout, avec tout le monde et même entre nous. Heureusement, d'ailleurs.

Si ça pouvait faire penser ce serait une façon de faire agir...

C'est encore moi, j'ai l'esprit d'escalier. À propos du wallon-picard, de la condition ouvrière et de leur internationalisme conjoint, connaissez-vous Constant Malva, ce mineur, écrivain prolétarien qui fréquentait le groupe surréaliste de La Louvière ? On lui doit un bouquin magnifique su rsa vie de mineur: *Ma nuit au jour le jour*. Il a été édité notamment chez Labor. Verheggen doit connaître. À une prochaine fois.
Guy Ciancia

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