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Texte lu pour les funérailles d'Alain Crombecque

… directeur du Festival d'Automne à Paris, après l'avoir été du festival d'Avignon.

Alain est debout, il attendait près de la sortie. Il se retrait dans l'ombre. Elle le recouvre comme une excuse... Debout dans ce hall, il se tait sourit passe un instant de défi sur son front, marche ! Il se tait, il attend. Ne dira rien. À quoi pense-t-il ? A t-il aimé ce spectacle ? Quelle urgence ! Passons à la suite, il éteint mes questions. Ca l'amuse de nous laisser sans secours. Un geste peut-être ? Main rapide, serrement détaché, pas d'effusion. Eviter - réduire - la conversation. Nous sommes aussi dans cet instant où il faut sortir du théâtre. Quelquefois... Aura croisé tant d'autres regards qui soulevaient l'À quoi pense-t-il ?. Il se tait, ne dit pas. Il pense.

Au dehors, la nuit la ville, marcher sans hâte. Précaution traverser, s'attacher aux feux, ces détails conviennent mieux que l'élégance en reflets dans la scène d'avant. Dans l'RER, milieu de rame, notre voiture sous la terre, soudain plus d'À quoi pense-t-il ? Dangereusement porté à la parole, libère des mots éblouis sur un spectacle du festival d'Automne qu'il a revu trois fois, une forme nouvelle, un pari pour Paris. Cruauté presque à nous en parler, parti déjà, passé l'inouï, trop tard. Les yeux s'émerveillent. Trois stations hors contrôle. Lorsqu'il aime, il est capable de n'avoir pas grandi. Tient pour l'enfance du choix.

Plus tard, est-ce ici ou là-bas ? Alain maison. Odeur d'un dimanche en famille, où l'on fait délicatement semblant. Il confirme son incapacité à s'en tenir à sa place officielle, à sa table se lève. S'efface, donc survient.Cela qui s'en tient à ne pas grandir passe à nouveau sur son visage.

A ce qui passe on adresse alors une comptine. C'est comme de n'être pas très sérieux. Et sincère, un message à celles qui restent à terre, filles et mères, Hélèna, Christine, Geneviève, face aux bourrasques, fortes de ce qui doit grandir… le souvenir de celui qui posait la beauté sur la route. Il avait programmé une présence des poètes, dans les nuits d'Avignon. Ce pouvait être, ça aurait pu être Carlos Drummond de Andrade :

No meio do caminho

Au milieu du chemin il y avait une pierre
il y avait une pierre au milieu du chemin
il y avait une pierre
au milieu du chemin il y avait une pierre.

Jamais je n'oublierai cet événement
dans la vie de mes rétines fatiguées.
Jamais je n'oublierai qu'au milieu du chemin
il y avait une pierre
il y avait une pierre au mileu du chemin
au milieu du chemin il y avait une pierre.

Traduction d'Ariane Witkowski

Chère Héléna, Alain pour beaucoup d'entre nous a été un jour cette pierre au milieu de notre route. Qu'avec son souvenir nous ayons encore Christine, beaucoup de ces cailloux dans la bottine.

Lu à l'Eglise St Germain, Paris VI, le 16 octobre 2009 - Jacques Bonnaffé

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