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Revenu de l'an douze

Dans le cycle Cousins de Rousseau entamé en 2012 quelques intermèdes nous auront littéralement été à la rue. D'une pratique du texte à faire entendre dans les théâtres, nous sommes passés à un art de rue malgré les caprices météo, en juin 2012, pour une petite série de performances déambulatoires sorte de rêveries de promeneurs solidaires comme décrites ci-dessous, le but étant de faire entendre Rousseau dans le texte en compagnie des voix de la Nature ou in situ, . L'épisode décrit ci-après s'est déroulé près de Rennes, dans un lieu d'art et de littérature Le bout du plongeoir

Le fin mot du bout de l'histoire du plongeoir fut une conjugaison miraculeuse. Les nuages de justesse allaient nous épargner et la grande prairie n'ayant pas été fauchée - préservée peut-être grâce aux pluies - nous allions pouvoir herboriser avec les spectateurs. Moi le parleur du Rousseau par cœur et Sylvain le danseur, Sylvain Prunenec faux-régional de cette étape du Parcours tout Court festival parti de Rennes. C'est l'extrémité du plongeoir qui fut encore plus belle ce soir là. Je m'étais perdu en arrivant de Rennes, la répétition s'était emberlificotée dans les rond-points et nous avons prévu le lieu des représentations comme s'il devait pleuvoir, passant du repli possible au repli forcé, avec une confiance absolue dans la pluie ce jour-là. Son lâchage reste une énigme. D'abord Sylvain, oiseau captif, fut piégé tout palpitant dans le premier refuge littéraire, notre cabane à public où, s'étant laissé enfermer, il battait des ailes contre le mur et se fixait exorbité de trouille, pendant qu'apparemment sûr de moi, j'expliquais la différence de la bête à l'homme : Je ne vois dans tout animal qu'une machine ingénieuse à qui la nature a donné des sens pour se remonter elle-même et la suite du Discours de Roussseau. Nature et Culture, puisque c'était le programme et la belle occupation de notre soirée, tout sport exclu.

Deux parties pour un parcours Roussi, pas assez d'averses pour déclarer conjuration des éléments contre le réprouvé Jean-Jacques. Les hautes herbes nous ont offert leur tourmente effrénée pour cadre à la 5e rêverie chorégraphiée. Le spectateur-danseur ayant fait ses classes chez Pina Bausch en formation accélérée, nous avons esquissé une rêverie du promeneur "solidaire", notre chœur public unissant son pas sur un tempo chaloupé. Sylvain lui, nous avait quitté depuis la cabane à public, disparaissant dans l'ancienne et vaste cheminée. C'est dans cet océan de graminée qu'on l'a vu réapparaître, flamme folle émergeant d'une touffe explosive pieds en l'air et fringues à tous vents, pendant que sur le maigre chemin j'exprimais de si tendres regrets au souvenir des promenades sur l'île de St Pierre au milieu du lac de Bienne (voir Jean-Jacques).

On a cru que le ciel s'était arraché des gerbes d'écumes, mais c'était Sylvain-crinière d'une série élancée. Il n'a plus fait froid pour le coup. Nous avancions comme une rangée d'explorateurs chavirés, amusés de notre procession presque lascive. Les increvables joggers étaient loins, disparus dégoutés. Ne restait que notre follet émergeant des vagues vertes. Une grandiose conjonction. Fragile et presque convulsive symphonie à laquelle le ciel vint accorder une onction passagère, écartant le rideau de douche ordinaire avec quelques tardifs rayons d'orgueil pur. Vision première d'une origine. J'herborisais dans la cinquième. Sylvain là-dedans ajoutait encore de grands soleils aquatiques par ses ruades en flaques, comme s'il triomphait d'une immense sangsue. D'aucuns venaient d'apercevoir un des plus beaux instants de sa vie, lui manifestant sans peine qu'il faisait corps à la nature, et ce fut assez vif. Chacun crut qu'il avait rêvé, atteignant ce point d'incandescence des publics, massés pour rêver d'une autre sorte et frémissant autour de quelque chose d'inconstatable, derrière quelques belles phrases enfuies. Cet éblouissement refermé, au bout du plongeoir nous nous serrions encore, retardant cette hâte mauvaise des ombres froides tombées de la nuit.

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