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Avignon, dans ma petite cour
Tout spectacle peut nous changer la vie. Sans exclure les fours rédhibitoires ou certaines directions erratiques. L’acteur bel inconstant, double inconstant est obstiné à refaire sa vie avec une autre pièce, à défaut peut-être d’avoir trouvé la sienne. Jouer c’est garder son métier et changer de langage, changer de voix mais jamais de garage : rester changeant.
On fait du theatre d’abord parce qu’on ne veut pas rester le même, le germe est là. On n’admet pas les gens qui ne changent pas, ces sensations d’immuable. On prend goût pour la plasticité jusqu’à ne plus y réfléchir : à force de changer peut-être, on ne bouge plus, dans sa décision de changer. Tout Descartes à l’envers.
On pourrait facilement dire de chaque spectacle qu’il nous a changé la vie, pour peu qu’on ait le bonheur d’en changer, de spectacle. Ou de changer de registre, de public ou de territoire aussi. Je me suis plusieurs fois changé la vie. Acte délibéré ? Oui, ça a commencé avec une troupe. Passer de soi seul à une vision collective, ce pourquoi le théatre doit changer la vie. Etre ensemble. Un rêve d’équipe avec Britannicus à la Salamandre, je ne parlais plus pareil, ça me changeait. Mes vieux copains me disait tu fais l’acteur ? Puis les Bas-Fonds m’ont changé de bocal, changé vraiment; l’expérience des clodos est essentielle, pensez Godot… J’ai aussi changé par rupture, mais un choc fondamental a été l’exercice sur une partition à trois, montée par Alain Françon : King de Michel Vinaver, avec un accompagnement de l’auteur qu’on pourrait dire compositeur tant son exigence de sens et de percussion a des puissances harmoniques.
Même dans les pièces qui reprennent éternellement les mêmes recettes, il y a un désir de surprendre, presque une obligation de déranger. Servir un code et y échapper, c’est le frémissement du théatre, sa voie de rédemption. Une bonne pièce peut vous changer la vitre mais réciproquement, dirait Zeph Cafougnette, qui m’aura sauvé la vision d’une certaine manière. Retour aux sources, la nostalgie quelquefois dans ce désastre présent, c’est une belle façon d’avancer, pour bâtir durable. Sur les doigts, quatre pièces ont changé ma vie, six m’ont changé la vie (agréablement- les autres j’en parle pas) et d’autres n’ont rien changé. Mais toutes m’ont donné le bonheur d’aller de théâtre en théâtre, nouvelle vie qui s’ouvrait à moi, qui me parait toujours aussi incroyable, vie que j’ai sans cesse élargie à d’autres lieux, d’autres scènes.
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