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Comédien-lecteur, sujet à subjectivités.
Chez certains comédiens la bonne intention en lecture serait de parvenir à transmettre la textualité, un mouvement littéral de la phrase, le dire des mots sans interprétation. J'aurais pour ma part plutôt envie de saisir un chant du texte.
Cela se déclenche de façon réaliste, teintée d'une marque originelle : la voix accordée à Joyce l'Irlandais ne peut être celle de Calvino l'Italien, ni son débit, ni son humour interne. Le "timbre" insolite de chaque texte est touché par cette interrogation sur sa situation propre, présente ou posthume, s'accompagnant d'une modestie ouvragée ou d'orgueil délibéré, d'insolence ou de gravité, de détachement feint ou de fantaisie... Qui suis-je pour m'adresser vers vous, dans l'instant et à jamais ?
… Dans les lectures que je propose, on constate qu'il y a jeu. J'ignore de quelle manière enfantine et sérieuse j'ai l'audace de m'approcher des auteurs, de leur trouver une peau par les mots ou par les tons, d'y façonner personnages, de prolonger, « rendre vif » tout ce qui s'y trouve emmagasiné de voix parlée. Si l'écriture atteint son cap, oreille à bon port, s'éclaire et semble se dépatouiller de sa masse vocale plombante, si le public m'est reconnaissant d'avoir débloqué quelque chose d'inextricable, j'aime autant jouer. Il y a deux attentes contradictoires derrière les livres, comme aux spectacles d'ailleurs, l'une démocratique qui demande à ce que s'épande un contenu — lire c'est alors ouvrir et faire entendre la même chose à tous —, l'autre, spécialiste ou experte, qui pousse au minutes d'exception quand lire figure cette union progressive des regards vers un même objet invisible. Lire c'est hausser l'écoute. Deux attentes contradictoires complémentaires, diffusion ou élection, pour finalement se sentir tous comme passagers d'une même expérience, érudits mystérieux dans ce dehors de surcharge informative, porteur d'un savoir constitué ensemble. Dans la simplicité de ses modes, la lecture en public des grands textes (ou de textes qui sont amenés à le devenir par l'attrait qu'ils exercent), peut dissimuler des richesses et des procédés qui nous dépassent.
L'essentiel, pour s'en tenir à peu de mots, est de ne pas ennuyer. Cela tient d'un travail préparatoire, cela tient du rythme, cela tient d'un débit, d'une fluidité même en affinant ce désir que les auditeurs n'en perde pas un mot. Pour autant, ne pas articuler, ou sur-articuler comme aiment à le faire les acteurs-profs ou les commentateurs de l'information parlée, sportive ou politique. Bref, ne pas prendre les gens pour des cons. Nous sommes sidérés du nombre d'intonations qui partent sans illusion, sans ivresse, appuyant sur la lenteur, forçant sur les soi-disant mots clés, se donnant le ton d'une dépêche pour les uns ou crépusculaire insipide pour les vedettes de films en déplacement, pressées ou simulant l'être… J'en passe et des drôles, l'inventaire est copieux, au secours la lecture ! Au secours la musique en jeu ! Trouver la voie c'est trouver le texte. La lecture est distinction, performance et stimulation de cette assemblée qui se trouve là ce soir et riche de sa chance à elle.
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