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Ballon ballon

Jacques Bonnaffé se prépare à jouer Le Mental de l'équipe d'Emmanuel Bourdieu, Frédéric Bélier Garcia, mise en scène de Denis Podalydes. Récit scénique des quelques dernières minutes d'un match de football en France, tournée théatrale et création en 2007.

Rattraper le Mondial en cours, c'est tout à fait possible, même avec une toute petite préparation et il faut reconnaître, en ce qui me concerne, des gros manques, oui… Aucun match au compteur depuis peut-être deux ans, trop de dispersions, j'ai rien vu : activités dans la haute culture, théâtre ou tournages, heures sup' et soirées tronquées, une grosse tendance à l'addiction littéraire. Pas trop foot en fait, mais rien qui ne s'oppose au maintien, une grosse volonté, peu de technique mais du caractère, je peux imaginer retrouver ma place devant l'écran en quelques heures, sans présumer des risques de claquage : piquer du nez, me surprendre à bouquiner en pleine action etc. Ennui ou démotivations sont toujours à craindre, auxquels on est forcé d'ajouter l'influence du fond de l'air, plus morose que vraiment bleu : l'équipe nationale est elle-même en rôdage, dit-on sobrement. A défaut de suivre le jeu, j'écoute les commentaires, nécessaires à une bonne remise en jambes. Le rétablissement pouvait se passer chez les copains, canapé soirée « plasma », mais j'ai préféré me faire une tournée des bistrots.

Le Mondial est inséparable de cette atmosphère d'été des terrasses, inséparable d'une Italie pays chaud inséparable de ses clichés : le football est à la rue, comme le linge aux fenêtres. Les grands rendez-vous produisent de grandes rencontres et des cris, vociférations non confinées comme dans cette histoire de Fellag où le quartier là-bas près d'Alger se serre sur quelques touffes de pelouse en face de la boutique du revendeur de télés, lui-même perché toute la soirée sur son toît à orienter l'antenne sous les encouragements du parterre, quel match !

Lorsqu'on rentre dans un football-café, c'est d'abord comme à l'école : des rangées d'élèves le nez en l'air direction tableau vert et plutôt bien sages. On se glisse jusqu'au banc libre, sinon c'est qu'on reste au bar. Gilardi là-haut incante ses lignes d'intonation : Oh là là ! Ta mère qu'est ce qu'elle va diiiire ! ; sur chaque d'action. Brasserie côté gare du Nord, les coups francs sont salués joyeusement par un cartoooorange ! ou cartonrange, c'est Momo habillé chic et grand soir qui fait aller l'ambiance… Attention qu'ils sont dangereux les accaréens pour les Sud-Coréens, lui qui lance vraiment le match en indiquant les ouvertures, changements d'ailes, et congratule ses joueurs : Tu fais commme j'lai dit, là, très bien Zizou. Momo mène la partie quand Dominèque s'abstrait derrière ses lunettes butées. Après un hommage particulièrement opportun à Fabien Barbès, tour de salle acclamé, arrive le premier but Français marqué par le patron du bar, Francis ou Claude, puisqu'il l'avait annoncé : … dans le premier quart d'heure, j'avais dit… Là c'est parti, ils vont marquer. Et tout le monde se sent très libéré, c'est toute la différence du bistrot : on marque sensiblement plus de buts que dans le salon. On n'arrête pas d'en voir au fond des filets, visions abondamment commentées, donc ça en fait vraiment beaucoup plus. Mi-temps-vestiaires, pendant les publicités je fais du vélo, c'est vraiment du sport, pour changer de bistrot. Ma remise à niveau m'autorise des conversations acrobatiques en fin de match sur les chances de la France, beaucoup de figures et des calculs douteux pour un résumé sans appel : de toutes façon, on saura demain !

Pour l'instant, ça ne se bouscule pas, ils ont vendu tellement de télés, les gens les usent un peu. C'est quand il n'y a pas grand chose qu'il y a grand monde ; fort de cette maxime de Prévert, je me satisfais de l'inverser lorsque viennent se masser les passionnés aux lectures et ailleurs, qui ne sont pas vingt mille à venir m'empêcher de suivre le match du soir. Mais ça y est, je suis reparti sur le théâtre, il faut m'arrêter…

Commentaires

Monsieur Jacques !
Qu'il était superbe ce cri. Je suis né au pays de cafougnette et exilé à Toulouse pour des raisons professionnelles. C'est là où on s'accroche à ses racines ! Encore Bravo pour ces moments rares.
Je vous ai aussi écouté sur un CD que vous avez enregistré avec des histoires de Cafougnette. C'est ça le bonheur.
Merci beaucoup et bonne chance pour votre nouvelle pièce. Vous verrra-t-on à Toulouse ?