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Le bel Hannibal

« Donc alors euh… Jacques Bonnaffé, vous êtes Hannibal ?
— Non je ne suis pas Hannibal, je joue Hannibal — Et ça n’est pas un peu la même chose ?
— Non, quand je joue, ça se voit. Et je montre bien aux gens que je ne suis pas Hannibal, je n’essaie pas de ressembler au fils d’Hamilcar Barca (247-183 avant JC) the punic carthaginian military commander, one of the greatest in history selon Wikipédia, je n’ai ni la peau ni les traits ni le mental ni la stature. Il y a beaucoup de gens qui se sont pris pour Hannibal, c’est un syndrome couru. Napoléon lui-même avant de se prendre pour Napoléon, s’identifiait à Hannibal. Illustre premier d’une longue série qui fit la fierté des asiles bien clos. Dans mon sens, voyez, c’est le public qui est fou, c’est lui qui déclare en me voyant que je suis Hannibal. Comme vous d’emblée ! Moi je sais que sa vie ne m’est pas arrivée, même en cauchemar, ni de commander 80 000 hommes, ni de faire la guerre avec un troupeau d’éléphants, d’aller traverser les Alpes ou de faire trembler Rome, mais je vis près de gens qui font des trucs semblables ici ou dans les pays brûlants de la méditerranée, ce n’est même pas si spectaculaire, c’est quotidien et pourtant ils peuvent faire pleuvoir des troupeaux d’éléphants en appuyant sur un bouton. Alors je fais mon boulot, on m’entend, c’est clair, je suis l’écriture d’Hannibal dans la fabrique de Grabbe, voilà et à défaut d’être Hannibal, je veux bien passer pour le type qui se prend pour Hannibal.
— Ah la fameuse distance, comme chez Brecht ?
— Comme chez Bertold B. Sobel oui, ça me plairait assez que les gens voient ça, du moment qu’ils ne me prennent pas pour Napoléon. Mais je fais gaffe à la gestuelle, éviter la main sous le plastron, les postures… D’ailleurs Sobel y veille, il est très direct sur ces choses, les gestes, les inflexions. Le sens de ce qu’on raconte, et le double sens de tout ce qui s’entend. La distance oui. La distanciation comme une forme du plaisir. Qu’est-ce qui fait avancer la pièce ? Je veux dire qu’est-ce qui fait avancer le poème, à mon avis c’est la langue, combattre avec la langue c’est plus dur qu’avec le glaive. Pour Sobel un propos bien exposé vaut sans doute mieux qu’un grand moment dramatique. C’est vrai qu’ici le récit est serré, le fil tendu, la pensée droite, les monologues brefs, sans précautions oratoires non plus, sans attirail et sans imprécation. Une poésie par l’économie, un certain rejet du théâtre : rejet de la shakespearomanie dit Christian Dietrich Grabbe, qui lui, dans son style nerveux épuré, aurait pu écrire les meilleurs westerns ou les plus grandes séries B. Tout sert, tout est serré dans une pensée matérialiste, souvent satirique. »

À suivre…

Presse

Sobel sur les traces d’Hannibal par René Solis dans Libération du 16/09/2013.

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