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"Ne dites plus jamais, c'est triste"- Sampiero
C'était le 16 mars 2018, à la bibliothèque Louis Aragon. C'était à Amiens, ville en Poésie, encore le Printemps des poètes. C'était Dominique Sampiero et Jacques Bonnaffé à nouveau réunis. C'était un cocon protégé, un auditorium à l'ancienne, dans un hall habité par les livres d'artistes. Début de soirée sur le chemin de la douceur. Loin de Paris et de ses ardents tumultes. La hache de guerre était enterrée le temps d'une lecture/performance à deux voix. Sur la scène une table, un ordinateur, deux micros, deux chaises vides. Où sont les artistes annoncés ? Quand la majeure partie du public est entrée, deux spectateurs au premier rang commencent à discuter à haute voix, font connaissance comme dans une émission littéraire. Propos rabattus sur la vie d'un écrivain, dans un « faire-semblant » dont personne n'est dupe. C'est le jeu du théâtre : faire croire qu'on y croit malgré tout . Faux interview, vrais propos sur l'enfance , la résidence d'artiste en cours à Amiens, les rencontres passées. Allusion au rôle de Monseigneur Poileaux qui a valu un prix à Jacques Bonnaffé, et une brève apparition du personnage. La conversation se poursuit à bâtons rompus comme si le public n'existait pas, pour une caméra imaginaire. Dominique Sampiero se lance dans un souvenir d'enfance arrêté par Jacques Bonnaffé : « Tu vas encore nous faire pleurer... »
C'est pourtant bien Dominique Sampiero qui va commencer la première lecture, face au public. Un extrait de «Où vont les robes de nuit » éditions : un homme parle de l'absence en accomplissant des rituels quotidiens avec une robe, matérialisation de la femme partie. Lecture toute en pudeur aussi mais qui assez vite devient touchante de part et d'autres. Jacques Bonnaffé reprend son rôle de journaliste littéraire, une consultation sur l'ordinateur. La voix se teinte de l'officialité et de la légitimité de critique. Echange autour de l'écriture, on parle d'une pièce évoquant une femme qui monte avec ses enfants au sommet d'un immeuble pour se suicider, poème dramatique né d'une histoire collectée et aussitôt devenue vivante en lui au point de le pousser au texte.
Les deux autres moments majeurs de cette lecture performance sont deux longs poèmes lus par Jacques Bonnaffé. "L'herbe Grise" (je viens d'un pays où personne ne vient...) qui évoque le Nord, celui de Dominique, et réunit le regard bleu des deux amis. On sent que ce texte les traverse tous les deux de la même façon et qu'ils ont les mêmes souvenirs, le même vécu. Jacques Bonnaffé se laisse porter par la musicalité du texte, par la force des images et leur magie. Il ouvre humblement une porte que chacun franchit pour atteindre le sens d'une région qui a nourri à si peu d'années d'écart et dans des lieux très proches l'auteur et l'interprète.
Ne dites plus jamais, c'est triste est pour la première fois offert au public. C'est un poème inédit spécifiquement écrit par Sampiero pour son complice de longue date. Là encore l'émotion est au rendez-vous. Jacques Bonnaffé ne quitte pratiquement pas les pages des yeux. On sent pourtant une parfaite maîtrise mais il n'y a rien à ajouter, surtout pas du théâtral. La voix se répercute dans l'auditorium et devient la mer ou le train qui emporte laissant chacun face aux mots (puisque l'interprète se refuse à l'échange de regards).
« Moi qui t'avais demandé un texte gai... » déclare-t-il à la fin. On sourit sans se laisser dépendre.
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