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un portrait d'Hervé
Quelques mots seulement, sans parler d’article. Retrouvant son écriture épuisée, cahotante et fébrile, sans une faute sans relâchement, sur les derniers cahiers d’Hervé Prudon, feuilletant ses quotidiennes aventures autour des mêmes mots, cette volonté de ne plus se perdre dans aucun divertissement, sans digression, presque sans actualité, n’étant désormais que son propre sujet, restant lui-même au bout... j'avais cette image à la fois monacale et hirsute en diable qui me sautait d'autrefois à la figure. Le solitaire est dans la grotte, la grotte dans un immeuble neuf, surplombant le quartier de la Porte d'Orléans pour se retrouver dans le ciel, des journées entières, cloué ces derniers mois par son état de faiblesse extrême. Il avait déjà joué au malade et nous avions partagé cette oisive activité de chaque instant, cette suractivité, cette occupation délirante d'un théâtre, y jouant au docteur et à l’infirmière avec une bande de cinq ou six acteurs actrices et musiciens, Tarzans malades à Cochin puisqu’il voulait bien s’hospithéâtraliser avec nous et revivre des épisodes de cette opération qu’il avait vécu en 98. Nous étions enfermés jour et nuit et des spectateurs venaient nous rendre visite le soir, qu’on aimait accueillir assez pâlichons, mal foutus mais reconnaissants. Arrivés à certains seuils, on ne joue plus. Pourtant nous ne ressentions aucune des blessures; aucun de ces cri du corps qu’Hervé racle et ressasse dans ses écrits d'un duel perdu : j’ai mal, comme une nécessité. Cette histoire s’est prolongée de Caen Hérouville à la Bastille, devenue « Comme des Malades » une pièce cabaret, avec infirmières et voisins de chambre, un truc dans lequel on embringuait les spectateurs, limite mauvais goût mais direct, franc du collier comme seul Prudon sait l’être. Une mise à nue des déchéances, jamais gore, non, train-fantôme plutôt, le théâtre jouant à se faire peur. Un mini grand macabre ébauché par courbes tremblantes, celles qu’on voit aux ectoplasmes tracès par Dubuffet, ou ceux d’Hervé, copies des carnets, montagnes russes des bulletins de santé, nous étions ses dessins chantants, un peu ivres sûrement de ses substances poétiques. Il y avait beaucoup de lucidité, beaucoup d’affronts. Une provocation continue gorgée de reconnaissance amoureuse au temps qui vient, aux dénouements imprévus, aux sympathies nouvelles. A cette époque il a rencontré Sylvie Péju, elle avait bouleversé ses nuits errantes sur le pavé parisien. Le programme ne serait plus le même, moins destructeur et jalonné d’expériences prometteuses. Nous sommes partis ensemble à la campagne quelque mois plus tard, on écrivait sur le vif, "rat des villes » un spectacle pour Aubusson, improvisant sur le déclin de la campagne "elle est morte c’est la vie ! » disait la grand-mère. Nous avons arrêté en pleine brousse, chacun rempli des choses qu’il avait à écrire, après une représentation mémorable. Je l'ai revu quelquefois, toujours la même droiture humoristique, le solitaire qui sait à quoi s’en tenir
Quand je vois que des gens qui ne me connaissent
que de vue ne m’aime pas je me dis qu’il reste
au monde quelques milliards d’ignorants tout disposés
à m’insulter, me couvrir de crachats voire me faire
la peau et j’hésite à partir ou rester
Cet extrait des tous derniers poèmes, si bouleversants, pour tous les amoureux de son écriture dans la noire. Les mots restent collés lorsqu’on retourne à ces pages, leur évidence verlainienne... Ce type, même dans le plus sale état, fait chavirer sa langue et vous jette de la beauté dans les yeux. Et rien de vague ou de mélancolique, il se bat contre ça, escorte Brautigan dans la désinvolture. Il décrit, plutôt précis, saisi le temps, son enveloppante histoire, et du crayon suit sa douleur.
j’attends la mort
on m’a dit de m’asseoir là
elle va venir bientôt
je ne suis pas son seul client
restez tranquille en salle d’attente
je suis trop fatigué pour gigoter
mais trop pour attendre longtemps
je suis au bout du rouleau
au bout du bout foi d’animal
j’empire sans respirer
j’expire j’écris mal
parce que j’ai mal (Paris 1/09/ 2017)
si je compte jusqu’à trois mille six cents
j’aurais perdu une heure à compter
jusqu’a trois mille six cents
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