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"Notre Homère" feuilleton entrepris avec Emmanuel Lascoux, traducteur et performeur

  NOTRE HOMÈRE

De toutes les façons d’aborder Ithaque, aucune n’est définitivement la meilleure. Comme s’il fallait à chaque fois refaire la traversée. Les uns élèveront l’Odyssée par la rime ou l’alexandrin jusqu’à en faire un magique ostensoir, d’autres garderont au voyage d’Ulysse la vigueur des voix, le souffle des rameurs au moyen du vers libre et de la prose. S’il faut porter haut le texte d’Homère dans cette nouvelle traduction, c’est qu’il n’existe pas de témoignage aussi net du cérémonial de parole qui structure sa poésie. Transposée par Emmanuel Lascoux, l’Odyssée prend immédiatement vol, adresse ample et communicante. Elle porte en elle ce relais d’écoute qu’a constitué la fabrique oratoire de l’épopée : chaque lecteur se projette diseur, et les têtes penchées sur la page aujourd’hui déclament encore, encore ! La traduction est façonnée pour les voix, pour la place publique des voix, plutôt que pour la tour d’ivoire du livre ou de la bibliothèque, garante trop jalouse de l'érudition. Et lorsque le lecteur parle il engendre un autre lecteur. Jacques Bonnaffé, voix française

La Méditerranée, la mer qui s’ouvre en plein milieu des terres, c’est d’abord dans la vieille langue grecque qu’elle nous parle, c’est Ulysse qui nous y perd, et qu’on y retrouve. Les Muses et les Sirènes ont commencé à chanter en grec, avant d’inspirer le latin, puis le français et toutes les langues de l’Europe moderne. Or pour cette Odyssée qui n’était pas encore un livre, et qui résonnait au cœur de tous les Anciens comme la voix première, la plus familière, il me fallait trouver la liberté du français le plus parlé, le plus direct, le plus présent. C’est ce rap ou ce slam antiques que nous tissons à deux voix pour deux langues, sans qu’on ne sache plus laquelle est d’aujourd’hui, laquelle d’hier, puisque l’accueil du grec dans le français redit le droit sacré de l’hospitalité. Emmanuel Lascoux, voix grecque.,

Quelques éléments d’un dossier pratique :

  • Un épisode de ce feuilleton dure 1H15. L’Odyssée, rappelons-le, est une suite de 24 chants, dont chacun demanderait 45 minutes en lecture parlée. Nous sommes deux conteurs, des aèdes ( du verbe ᾄδω / áidô, « chanter ») Homère est ici la voix première, celle qui ouvre et ferme le récit, démultipliée épisodiquement par la voix des autres aèdes puis par Ulysse lui-même narrateur des mésaventures héroïques de son retour. On s’y perd. Ce qui fait la particularités de l’Odyssée, c’est sa construction, sa chronologie labyrinthique… un temps piégé.

  • Âge conseillé : à partir de 10 ans : La discussion est impossible sur ce sujet de l’âge favorable… de 7 ans jusqu’à 77 (inclus!) Idéalement, les enfants pourront accompagner les adultes impressionnables : un public ouvert et non restreint à des tranches d’âge. NB - Avec les groupes scolaires, on peut imaginer en sus, des rencontres participatives, expérimentant la lecture à voix haute.

  • Dossiers pédagogiques : Toutes les sources se valent : fiche Wikipedia, Découvertes Gallimard, images et autres enquêtes pour essayer d'approcher du vieil Homère (750 av JC). Cette histoire cent fois reprise, qu’on considère comme un des chefs-d’œuvre de la littérature mondiale, est le poème fondateur de l'antique culture grecque, indissociable de la Méditerranée et de nos origines. Façon d’exprimer qui nous sommes, au regard des épreuves et des victoires et de tout ce qui fait l’humanité. Un récit sujet à de multiples réécritures, adaptations BD films dessins animés jeux vidéos etc….. Nous déclarons pour une fois, qu'on peut repartir de l’original : entendre les vers tels qu’ils ont été fixés par les premiers récitants, saisir les modes de déclamation, s'exposer à leur puissance inaltérée, qui n’est pas sans rapport avec l’addiction aux séries télé d’aujourd’hui lorsqu’elles flirtent avec cette envie enfantine de ne jamais voir arriver la fin des histoires.

Aspect de la performance :

Nous sommes des conteurs, des aèdes. On peut aussi dire des griots. Notre transcription pour la scène est sonore, pleine de coups de théâtre, érudite et grand public, discursive, scrutant l’œuvre grandiose dans sa nature première, orale : VF mêlant la VO, sans craindre l’hermétisme ni l’ennui. Nous fabriquons les conditions d’un vrai suspense mais aussi (c’est important) nous observons le jeu de construction des récits, les déplacements dans le temps, d’îles en îles, histoires enchâssées les unes dans les autres dont le verrou se lâche dans une complicité avec le public. À ce sujet, oui, nous échangeons avec les spectateurs. Par exemple, à propos des connaissances que chacun peut avoir de cette histoire universelle : nous naviguons ensemble sur les hypothèses de ce qui va suivre, et pour cela, rien ne vaut les répères impérissables. Ils commencent par des mots-clés Sirène Cyclope, Éole, Calypso, Charybde et Scylla, Circée, les vaches du Soleil… Nous pensons ajouter des extraits courts / très courts que nous appelons les fiches lecteurs. Qu’est-ce qu’un Cyclope (en quelques vers), Sirènes et Outre des vents, rameurs compagnons forte-têtes, rôle des femmes, âge d’Ulysse, banquets….

Une heure / une heure trente et plus si feuilleton..
Jacques Bonnaffé : Griot, aède de service.
Emmanuel Lascoux : Traducteur, helléniste performeur
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Feuilleton ? Nous devrons certes préserver une marche imprévisible qui oblige à faire des retours en arrière, des digressions ou des points réguliers : un casse-tête chronologique. Où l’on pourra toutefois sectionner une série d’épisodes.............. ODYSSONS !

Voici les éléments par lesquels ,d’une façon ou d’une autre, nous passerons :

Télémaque et les prétendants.
Les compétitions Olympiennes (guerres entre déesses et dieux).
Ulysse prisonnier de Calypso.
La mer (marins et fortes-têtes).
Les tempêtes / les gouffres.
L’ile des Phéaciens (Palais d’Alkinoos).
Polyphène, cyclope de son état.
La rancune de Poseidon.

Les épreuves reconnues : les Syconnes / Lotophages / Cyclope / Eole L’estrigon / Circée / Adès descente aux enfers / retour chez Circée / Sirènes Charybde et Scylla / Vaches du soleil / tempêtes ….. Calypso. D’autres épreuves intimes : les jeunes filles rencontrées (Nausikaa), la déesse déguisées (Athena), l’humiliation du déguisement m’éditant, la jalousie jusqu’à l’ultime épreuve : l’arc d’Ulysse accouchant du carnage. Et pour finir : faire le lit matrimonial (devoir faire preuve de sa docilité).

...Trop d’éléments pour faire un feuilleton sage. Nous instituerons des rappels et des explications en cours d’épisode. On se souviendra que dans l’Odyssée rien n’arrive dans l’ordre ni sous des apparences logiques. Quatre chants avant que le héros n’apparaisse ! Vient d’abord Télémaque, le fils, dont nous suivons l’éveil et les premiers combats face aux prétendants. Puis vient l’histoire du soldat qui rentre au pays, vainqueur subissant mille défaites, marin qui échoue, perd ses compagnons, finit par atteindre sa destination : le voilà revenu au point de départ, chez lui, Ithaque où on le tient pour mort ou disparu. Pour décrire la marche de notre feuilleton, il est composé bien sûr des épisodes « connus ». Cependant la présence d’un helléniste musicien, d’un traducteur aussi audacieux qu’Emmanuel Lascoux nous amène à imaginer l’atmosphère des premières transmissions, argumentant sur l’Epopée, les mythologies fondatrices, faisant quelques détours par l’Olympe et ses intrigues. Il est bon de préciser qu’à chaque fois, nous reprenons des éléments cités, nous nous appuyons sur des répétitions du texte tels ces rituels de parole à l’ouverture d’un chant (Voici l’aurore, on aperçoit les roses de ses doigts), nous résumons aussi des pages déjà lues. Le spectacle peut se suivre de bout en bout, pour ceux qui ne voudraient rien en perdre. Ou il peut être attrapé au vol, juste un soir.

PRÉSENTATION DE L’ÉDITEUR POL

Emmanuel Lascoux propose une nouvelle « version » du texte grec d’Homère à partir de son travail original sur le grec ancien qu’il rythme, chante, et crie depuis plusieurs années. Il dit lui-même : « J’ai voulu monter le son ou entendre davantage. » Il revendique de « jouer les langues anciennes » comme l’on joue de la musique. « On fait du grec, soit, mais on ne fait pas le grec. Imagine-t-on faire de la musique sans la faire ? » écrit-il dans l’avant-propos à sa traduction. Mais quels détours imposer au français aujourd’hui, quels mensonges lui permettre, quand la musique du grec s’est tue ? Emmanuel Lascoux propose ainsi cette « version française » très originale des 12109 hexamètres de l’Odyssée. Plutôt qu’imiter le vers grec antique inimitable, ou dévider une prose inchantable, cette Odyssée propose à tous, un texte à dire et à chanter. Renouant finalement avec les pratiques antiques du texte épique et du poème, dans un français très contemporain et d’une oralité retrouvée.

Crac ! les haubans du mât, tiens, sectionnés d’un coup, par le vent, par la bourrasque, 
des deux côtés. Bam ! le mât qui tombe à la renverse, tous les agrès qui dégringolent 
dans la cale, ma parole ! Paf ! là, oui, à la proue du bateau, 
le pilote se le prend en pleine tête : crric ! ça lui brise d’un seul coup 
tous les os du crâne à la fois. On croirait un plongeur, vous savez, 
qui se laisse tomber du plat-bord. Fini pour lui : force et vie quittent ses os ! 
Et Zeus qui n’arrête pas de tonner. Brraoum ! sa foudre touche le bateau...

Les lieux de spectacle

Bien penser que tout cela nous rapproche d’une forme populaire et universelle encore vivante, le récit épique. Nous nous permettons de croire un instant que nous sommes un peu grecs dans l’Europe actuelle. Et nous mettrons en place les salles de façon à créer un auditoire proche, à l'image des lieux d’échange et de communauté qu’on retrouve dans des régions de la Grèce telle que l’Epire - loin du tourisme réducteur. Témoins nous aussi de la tradition orale : pas de décor autre que nos propos, à travers les puissances rythmiques de l’imagination.

Le projet s’est mis en place de lui-même, au cours des invitations successives, et aussi lors d’un travail avec Jacques Vincey en collaboration avec l’IRCAM et le Théâtre Olympia Centre Dramatique de Tour. Ici, pour cette version contée entre le traducteur et l’aède, nous nous disposerons selon les moyens du bord. En mode acoustique diurne de préférence, pour une après-midi prolongée par exemple. Le plan de l’intervention sera chaque fois réinitialisé.

Dès la première tentative, la phrase se met en place malgré les détours sophistiqués ou l’apparente déférence, tout est là, dans une alliance de cérémonial et d’action. Osant jusqu’à l'onomatopée, portant le verbe cru des héros, l’épopée labyrinthique se fait machine à freiner le temps pour en célébrer la puissance universelle.

Partageant la déclamation avec des lycéens, j’ai pu m’étonner de la confiance immédiate. Dès la première tentative, la phrase se met en place malgré ses détours sophistiquée et des bizarreries telles que l’adresse aux divinités, tout est là, dans une continuité d'emphase et d’action.. JB

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