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Bilan du stage " Jugez sur pièces" (décembre à Pernand, ça Vergelesse !)

Affirmer que l’objectif du stage est atteint pourra-t-il suffire à bien décrire le stage ? Dix pièces de théatre d’aujourd’hui parcourues, échangées, certaines mises dans l’espace, explorées en "lecture scénique". Textes inédits, propices aux "explications mouvementées", discussions vives ou recherches spontanées en situation. Une écriture de théâtre passe par l'espace, les participants forment rapidement des petits groupes de travail, une présentation regroupe au final cinq pièces, des extraits de 40 minutes, ( sans décor ni costume), chaque jour des intervalles sont maintenus pour l’échauffement et la pratique d’acteur. Le programme est largement tenu, chaque jour différent. On n’a pas dévié, on ne s’est pas statufié. Il est utile au bilan de pointer aussi les regrets les espérances : il aurait fallu  un rendez-vous quotidien, hors des repas réconfortants et si copieux à Pernand,  pour faire le point, écouter. Connaitre mieux les attentes de chacun. Et aussi, nous ont dit les stagiaires, des temps de pure lecture de pièces, plus de fouilles. Sinon l’espérance d’une suite à ce travail : se réunir pour déchiffrer des textes inconnus, partir de rien, si ce n’est des pièces regroupées.

Précision : A l’heure actuelle, les propositions d’écriture en scène basées sur l'improvisation d'acteur, les adaptations de romans ne manquent pas. Que fait-on des auteurs et de leur proposition, que fait-on de leur lecture de l’actualité, et de leur expérience des autres écritures ( leur actualité interne en quelque sorte : leur façon particulière de fire bouger les formes) ? Au cours du stage, on se forge un esprit critique, un point de vue permettant d'argumenter sur nos lieux de travail et d’inciter de nouveaux publics. Dépasser trop d’ignorance, nos chefs de file semblent assez mal connaître les nouveaux auteurs, ils montent Feydeau, Tchékhov, Molière, ils montent toutes sortes d’adaptations, les théâtres manquent de points de rencontres marquants sur les auteurs nouveaux.

L’ambition simple de ce travail est de rappeler qu’une pièce de théâtre est un dispositif ouvert à plusieurs distributions d’acteurs, troupes amateurs ou professionnelles, et non le produit d’un groupe unique ou d’une marque établie. Qui lit la pièce crée la pièce. Ce dispositif a pensé sa construction, ses enjeux. On peut toujours s’amuser à écrire des pièces entre copains, ça ne marche pas si bien. Les auteurs d’aujourd’hui nous renouvellent, ils multiplient les angles, ils sont seuls à pouvoir multiplier les thèmes ou nous surprendre par leurs choix dramaturgiques. L’invention de ces écritures peut nous faire penser au renouveau dans des domaines de l’illustration, éventail thématiques des nouvelles bandes dessinées. Il manque un festival des créateurs d’écriture, équivalent dans sa fraicheur au festival d’Angoulême. Il manque au Théatre Public des temps exclusifs réservés aux nouvelles écritures, aux auteurs, le cahier des charges est à cet endroit beaucoup trop lâche depuis 10 ou 15 ans. Et nous devrions nous inquiéter des avancées contemporaines d’auteurs chez nos voisins d’Europe.

Chaque stagiaire a pu perfectionner, ou simplement ouvrir sa connaissance aux écritures les plus récentes, inédites, à travers dix pièces de théatre, venues de différents pays. Acquérir une approche du partage à plusieurs voix, dans les règles de modestie qu’il impose : d’abord on pose la pièce, puis on explore ensuite ses forces dans l’espace. Le travail constitué au cours du stage tient du carnet d’esquisses, où les pièces à venir se révèlent, tout est flagrant. Certaines ne méritent pas plus de recherche et sont passionnantes dans un modèle parlé, d’autres ouvrent à la mise en scène. Un processus de réflexion puis de maturation s’engage sur ces matériaux, on repart modifié. On explore des mondes inconnus. Et cela constitue un lien à plusieurs dont il ne faut pas négliger les retombées, de même qu’une excursion plus ou moins poussée forge des relations. Le désir d’éprouver une communauté dans la découverte des nouveaux répertoires de théatre était une évidence, il n’y a pas si longtemps.

Bien sûr qu’il existe des monologues, bien sur que les propositions de ces pièces contemporaines ne sont généralement pas une mélodie du bonheur (qui, faut-il le rappeler, est un sujet mélo, abreuvé de tristesse ?) n’empêche que ce travail est un pas essentiel pour vivre ensemble, et aux stagiaires une invitation à rentrer cet apprentissage dans leur méthode pédagogique, dans leur transmission : Comment partager des pièces, comment s’adonner au plaisir d’en lire, et donner envie d'en connaitre la fin. La recette ici proposée est celle de l’excès, l'abondance de la revue : nous travaillons sur plusieurs pièces ensemble, et désirons creuser cette voie. L’explication en est qu’on méconnait trop l’écriture récente du théâtre, il faut y donner gout décidément, une autre explication tient au narcissisme de l’époque du chacun pour soi : il est toujours flatteur de rester face à une seule pièce et d’en modeler la spirale avec un groupe, n’empêche que ça rend fou, ça peut, honnêtement ce n’est pas le meilleur programme de stage.

Un comédien amateur est resté avec nous après la présentation, et nous disait que l’accès à un répertoire récent est si difficile que leur chef de troupe avait décidé d’écrire des arguments chaque année, une pièce sur mesure selon le nombre des participants. Ecouter ces pièces parler du futur au présent ( Habiter le temps), de la mort d’un ado enfant-roi aux super-pouvoirs( Retours), des racines de la haine au pays de Donald Trump ( Je hais les putains de Mexicains) de l’armement robotisé, des Drones ( Clouée au sol) d’un axe Paris-Berlin revu au travers des vies démolies ou mystiques de deux couples hybrides « Est-Ouest », tous ces sujets et leur écriture singulière lui ouvrait des perspectives stimulantes.

Nous nous sommes séparés, assez heureux d’avoir rempli ce sac et repris ces forces là, dans nos ballasts. Une phrases revenait trouvée dans un préambule de l’auteur anglais Georges Brandt : il ne faut pas jouer la fin au début. Nous devons laisser à vue nos techniques de travail et nos réflexions, c’est une des chance du théatre. J’y ajoute que nous ne travaillons pas pour des spécialistes, des spectateurs initiés. S’adresser à tous, c’est comme de parler à des enfants, faut pas les prendre pour des cons, surtout pas, mais éviter de faire les finauds dans l’interprétation, c’est trop tôt. On doit être cueillis nous-mêmes par ce que nous lisons à haute voix.

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