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De l’encre à la Clarté, en suivant Philippe Jaccottet
Montage à quatre mains pour deux voix, Agnès Sourdillon et Jacques Bonnaffé.
Jaccottet n’est plus. Dans ses poèmes déjà s’insinuait l’absence. Parti plusieurs fois, sans attiser les adieux. Par discrétion naturelle, par devoir poétique, parti. Pour naître à la lumière, serrer l’univers entre pensées et poèmes. Remplacer la peur de la mort par l’émerveillement, l’écoute. Pas d’écologie, pas d’alarme, Jaccottet c’est un autre temps (destiné à apaiser le collapsologue énervé qui sommeille en chacun) il cherche l’au-delà dans l’ici-bas : je passe je m’étonne et je ne peux en dire plus , dit-il dans Une pensée sous les nuages. Toute parole est disparition, envol ou regret. L’œuvre, une adresse aux esprits inscrite dans les rides de ce vieux chef amérindien exilé à Grignan, le regard cerclé posé sur les montagnes de la Drôme.
J’aurais voulu parler sans image, simplement pousser la porte.
De L’encre à la clarté (montage de textes relatif à La Clarté Notre-Dame dernier livre de Jaccottet sorti quelques jours après sa mort) Plongeant dans l’œuvre considérable, je m’allège de cette immersion par « L’Encre serait de l’ombre », Pléiade de poche par Jaccottet composée ou « ramassée ». Et voilà qu’apparait peu après sa mort en février 2021, un prolongement inédit, hors Pléiade : La Clarté Notre-Dame, recueil au nom sonnant quel tocsin précis ?
Comment bien mener la lecture ? Je ne sais pas… mais parmi les certitudes celle d’une certaine économie s’impose : réduire. Face à la tentation de multiplier les entrées ou multiplier les choix de textes. Il n’empêche, il a bien fallu tourner des pages, et beaucoup, avant d’arriver à ces choix. Leur souvenir reste visible en loin. Et puis il faut aider le spectateur, et pointer du commentaire la sensibilité particulière de l’auteur ; qui ne va pas dans les brisées du temps, ni formelles ni thématiques. Et pourtant il est proche de ces guetteurs du langage. Ponge, Dupin, Bonnefoy… et aussi, par admiration, des étrangers tels que Mandelstam, Dante… baigné de littérature, traducteur absolu ; comme on peut dire parfois une « oreille absolue ».
Il n’est dans aucune révolution remarquable, mais se glisse dans l’observation de la nature et du temps ; se glisse en eux pour y saisir des pensées, ou la naissance d’une pensée nouvelle dans le bois des mots. Et toujours cette certitude perceptible, il ne veut pas désespérer, ne pas noircir le déjà noir.
comme une espèce de parole, d’appel ou de rappel, un tintement pur, léger, fragile et pourtant net / cela, je dois le garder vivant comme un oiseau dans la paume de la main, préservé pour un essor encore possible, si l’on n’est pas trop maladroit, ou trop las, ou si la défiance à l’égard des mots ne l’emporte pas. (Dans la Clarté Notre-Dame.)
J’ai pour les lectures une tendresse imbécile, j’apprécie leur impulsion hostile au théâtralement correct. Quelques voix rares m’y captent et je veux dire ici ma dévotion pour Agnès Sourdillon, comédienne et lectrice de poètes, dont Jaccottet, qu’elle connaissait pour avoir rompu la barrière d’oubli. Aux fêtes imaginaires que les situations d’épidémie nous imposent, j’ajouterai une soirée primordiale déroulant hors du temps les mots du poète de L’Effraie. Lecture en Sourdillon.
Jacques Bonnaffé
Article par Facebook d’un spectateur de Grignan, page Les correspondances
… Il ne s’agissait pas pour eux de simplement lire, des pages, des extraits, il s’agissait de laisser entendre avec bonheur le tâtonnement du poète qui écrit, qui ouvre la porte aux images, laisse le poème amorcé en suspens… se reprend […] par exemple dire simultanément la surprise des mots qui affluent à la conscience devant des eaux qui bondissent “avec une accélération du sentiment de vivre”.
Jacques Bonnaffé de nous faire entendre ces mots en les répétant plusieurs fois, en les articulant, soulignant ces commencements et recommencements de l’activité poétique, ses doutes, mis en écho par Agnès Sourdillon qui elle, au travers de sa voix à la fois grave et cristalline, nous a donné à entendre, à écouter le torrent de montagne, l’écriture des eaux vives, qui reprend les motifs découverts ailleurs, motifs recombinés jusqu’à jaillir telle une composition musicale. L’impulsion créatrice à l’œuvre : ce que les deux acteurs ont magnifiquement réussi durant ce moment sous les platanes du mail où les cigales auraient voulu couvrir leur voix qui regrettaient de ne pouvoir chuchoter, susurrer avec entrain des bribes de cette grande œuvre…